Article co-écrit avec H16 et publié également sur contrepoints.
En théorie et depuis les années 70, les frais de chauffage des logements collectifs auraient dû être individualisés… Las ! De dérogations en cas spécifiques, la mesure est restée lettre morte et ces frais restaient payés en fonction d’une grille établie non sur la consommation réelle de chacun mais de la surface de chauffe. Cette situation ne posait globalement pas de problème et n’entraînait pas débat.
Cette absence de problème et de débat étant intolérable à certains lobbys et certains ministres de l’écologie (au premier rang desquels on retrouve l’inénarrable Ségolène Royal), il a rapidement été question de tout remettre à plat.
Ce qui fut fait par le truchement de la loi de Transition Energétique pour une Croissance Verte (LTECV), promulguée en 2015, d’après laquelle tous les bâtiments collectifs devaient se mettre aux normes à l’exception de ceux pour lesquels l’obligation aurait entraîné une modification des installations même.
Comme bien souvent, l’idée de base n’est pas forcément mauvaise puisqu’il s’agit au départ de faire payer à chaque résident uniquement sa propre consommation de chauffage, ce qui a la vertu supplémentaire de le pousser à faire des économies : le Syndicat de la mesure avait par exemple calculé que dans un trois-pièces de 67 m², le comptage par répartiteur ne coûterait que 50 euros, et permettrait de gagner 100 euros sur une facture annuelle de 1000 euros.
Youpi, donc.
Sans traîner, un arrêté de mai 2016 est pondu pour préciser que la mise en service doit avoir lieu avant le 31 mars 2017 pour la majorité des installations avec des possibilités de reculer un peu en cas de faible consommation.
En somme, sur le papier, tout semble idéal : tout a été prévu et on a même décidé de tenir compte de la situation spécifique des logements. Ainsi, selon le chauffage déjà en place, on installe un appareil à l’entrée du logement (compteur individuel d’énergie thermique sur des boucles horizontales) ou sur chaque radiateur (répartiteurs sur des installations verticales) pour mesurer la consommation effective.
Moyennant un calcul de pondération tenant compte de la forme du logement et des parties communes dans les immeubles, on peut en déduire le coût du chauffage par résident : on applique un coefficient de 0,3 sur la consommation globale pour les nouveaux appareils de mesure posés après la parution du décret, mais si les appareils sont posés avant le décret, un coefficient compris entre 0 et 0,5 est applicable sauf si les copropriétaires peuvent décider aussi d’appliquer le coefficient de 0,3, ce qui permet de répartir selon la clef chauffage ces frais définis par coefficient, de même que ceux relatifs au fonctionnement de l’installation. Le reste de la consommation est, elle, répartie en fonction des relevés des appareils de mesure. Absolument limpide, non ?

Malheureusement, quelques complications supplémentaires arrivent.
Et ce d’autant plus vite qu’un rapport sur ces répartiteurs, commandé par l’ARC et réalisé par le bureau d’études techniques Enertech, sort en 2017 : après analyse, il semble que ces appareils ne peuvent pas mesurer de manière fiable la consommation réelle. Zut.
Selon cette étude qui rappelle que ces répartiteurs ne fournissent pas « une mesure de consommation mais uniquement une estimation de la part d’énergie fournie » par ailleurs très imprécise, ces engins peuvent aussi bien surestimer la consommation de 80 % que la sous-estimer de 30 %.
Devant ce constat, les associations de consommateurs montent au créneau ; L’ARC conseille par exemple la rébellion et aux copropriétés de ne pas poser ces répartiteurs. Que Choisir conseille d’attendre. La CLCV dénonce quant à elle une mesure « inaboutie et injuste ».
Manifestement, la situation est délicate pour l’Etat et ses alliés écologiques. Elle l’est d’autant plus qu’une sanction financière de 1500 euros par an et par logement non doté de répartiteur est prévu par le décret.
Une porte de sortie est trouvée puisque l’obligation englobe la pose d’appareils capables de « déterminer la quantité de chaleur fournie à chaque logement ». Les associations considèrent donc que les répartiteurs sont sortis de l’obligation, puisque seuls les compteurs d’énergie répondent au décret. Par conséquent, les immeubles d’avant les années 90 (la majorité d’entre eux) ne sont donc plus concernés par le dispositif.
Les copropriétaires font également de la résistance et refusent de s’équiper.
Zut et zut : le gouvernement ne peut plus maintenir l’obligation de poser des répartiteurs, mais ne peut, idéologiquement, revenir en arrière. En sueur, il détricote donc discrètement le dispositif avec la loi ELAN (via son article 71 et un décret d’application qui rabotent encore un peu plus les obligations effectives).
Cependant, avec l’État, une erreur ne peut s’arrêter là : tout en détricotant, il en profite malgré tout pour l’étendre en impliquant aussi les frais de refroidissement.

Tout ceci est bel et bon, mais il semble qu’on a oublié un petit quelque chose…
Ah, oui, c’est vrai : les calculs des économies potentielles se basaient sur un coût qui se révèle en pratique bien supérieur. Finalement, il faut compter 90 euros pour un (malheureusement nécessaire) robinet de régulation de chaleur, 180 euros pour l’installation d’un compteur de chauffage, 5 euros pour la location annuelle d’un répartiteur (soit 30 euros pour un trois pièces avec six radiateurs). Enfin, la location d’un compteur coûte 85 euros.
On est loin du budget initial.

Tout ceci commence à sérieusement sentir la Réussite Royal (par référence à la Reine des Pôles), à savoir une déroute complète nappée de petits fours joyeux. Surtout lorsqu’on découvre que le décret impose aussi aux syndics d’établir, le cas échéant, une note justifiant de l’impossibilité technique ou du coût excessif de l’installation.
Cette note doit bien évidemment répondre à des impératifs légaux – exposé dans le sabir habituel du législateur déséquilibré qui sévit en République française – à base de carnets numériques d’information, de suivi et d’entretien des logements et autres petits cerfas rigolos à remplir. Note dont le syndic ne pourra décemment prendre la responsabilité sans s’exposer à des désagréments si cela tourne au vinaigre…
Quant aux copropriétaires, ils éviteront les pénalités de 1500 euros par an et par lot pour ne pas avoir posé de répartiteurs trop chers et inefficaces en payant un bureau d’études techniques qui garantira que leur démarche est économiquement et/ou techniquement justifiée.
En somme, pour éviter une mesure onéreuse qu’on ne peut pas respecter, on doit effectuer une mesure onéreuse auprès d’un cabinet qui conviendra effectivement que la mesure est inapplicable et onéreuse, et qu’on doit donc s’en dispenser.
Imparable.
Problème plus compliqué qu’il en a l’air.
Premier facteur à considérer. Les pros du calcul des déperditions thermiques dans les immeubles savent que, avec l’hypothèse que chaque appartement est maintenu à la même température (par exemple 20°C) les déperditions vers l’extérieur dépendent fortement de la situation de l’appartement. Dans un immeuble ancien, typiquement, un appartement situé en rez de chaussée en bout d’immeuble dépense alors deux fois plus d’énergie par mètre carré de surface habitable qu’un appartement situé dans un étage intermédiaire au centre de l’immeuble. Dans les immeubles récents (BBC RT 2005 ou RT 2012), ce coefficient est typiquement de 2,5. Les occupants mal situés dépensent donc, en moyenne, entre 2 et 2,5 fois plus que leurs voisins mieux situés pour avoir la même prestation de température.
Second facteur. Les apports solaires sont très variables suivant l’orientation des logements. Pour des logements anciens aux façades et toitures moins bien isolées que dans les logements modernes, cela crée une différence importante dans l’énergie nécessaire pour maintenir la température intérieure.
Troisième facteur. Les goûts et habitudes des occupants en matière de température sont très variables. Une personne âgée qui bouge peu se trouvera bien à 23°C en journée et aura froid à 21°C. Un jeune adulte peut très bien trouver que 19°C dans son logement est une température parfaite pour sa santé, quitte à rester avec une polaire sur le dos, garder des chaussettes et des pantoufles chaudes au pieds. Dans la plupart des immeubles la température de chaque logement est réglable individuellement. Or les séparations verticales (murs) et horizontales (dalles) entre appartements ne sont quasiment jamais isolées thermiquement, ce qui fait qu’entre un appartement chauffé à 23°C et un autre à 19°C s’établit un flux thermique très important. On a donc la situation où un appartement peut maintenir sa température à 19°C sans apport d’énergie par le chauffage si les appartements voisins sont, par exemple, chauffés entre 21 et 23°C. Lorsque les frais de chauffage sont individualisés, que ce soit parce que la production d’énergie est locale dans l’appartement ou parce qu’il y a une production centralisée avec des dispositifs de comptage, Certains occupants comprennent très vite le parti qu’ils peuvent tirer de cette situation pour réduire leurs frais de chauffage : on appelle ça « le vol de chauffage ».
Quatrième facteur. Le rythme d’occupation de leur logement et très variable entre les occupants. Une personne âgée ou une famille avec des enfants en bas âge occupent leur logement en permanence. Des adultes qui travaillent en semaine et partent en week-end souvent sont bien moins présents, et de plus ils sont proportionnellement plus souvent dans le logement la nuit, période où on diminue les températures et donc l’énergie envoyée dans les logements.
Cinquième facteur. Lorsque la production de chaleur est collective, par une chaufferie, la distribution est faite par un réseau hydraulique. L’équilibrage de ce réseau permet de limiter les températures obtenues dans chaque appartement en ne donnant à chacun que ce dont il a besoin. Ces réseaux sont très souvent mal équilibrés, car c’est une opération complexe qui nécessite en général l’intervention de professionnels très qualifiés.
La combinaison de ces cinq facteurs fait que la consommation d’énergie par logement, rapportée à leur surface, est très variable. Un président de conseil syndical m’a cité une fourchette de un à cinq dans sa copropriété. Savoir quelle est la part dans ce chiffre due aux comportements individuels et celle qui ne dépend que de la situation de chaque logement est impossible.
Sixième facteur, qui crée une disparité suivant le type de logement. La qualité thermique de la construction. Un logement dit « passoire thermique » consomme deux voire trois fois plus qu’un logement moderne bien isolé.
Septième et dernier facteur, qui crée une disparité globale entre les Français. Le lieu d’habitation. A qualité de construction égale et prestations identiques, un logement situé à Mouthe dans le Jura consommera deux fois plus qu’un autre situé à Toulon.
Alors, que devraient faire les pouvoirs publics face à cette situation multi-factorielle ? Je propose plusieurs pistes de réflexion.
1 – Défiscaliser totalement la fourniture d’énergie destinée au chauffage des logements ainsi que la fourniture d’électricité aux particuliers. Remplacer le manque à gagner fiscal par une augmentation de la taxe d’habitation, quitte à revoir les transferts financiers entre état et les collectivités régionales et locales.
2 – Défiscaliser totalement les dépenses d’amélioration thermique des logements. N’accorder des aides aux foyers les plus défavorisés qu’en dessus d’un certain seuil climatique (DJU local). Ce seuil peut être abaissé très progressivement pour commencer par les communes de montagne et finir, cinquante ans plus tard, par les communes voisines du littoral du sud du pays. Ne pas faire de différence entre les résidences principales et les résidences secondaires pour inciter les propriétaires à isoler les logements qu’ils proposent à la location.
3 – Prévoir dans la règlementation thermique applicable à la construction des immeubles neufs que la déperdition théorique par appartement soit calculée obligatoirement (ce n’est pas le cas actuellement) et que l’équilibrage hydraulique de la distribution d’énergie de chauffage soit fait en fonction de ce calcul et obligatoirement sous contrôle d’une société spécialisée.
4 – Obliger chaque copropriété à faire établir par un cabinet spécialisé le calcul de déperdition thermique théorique de chaque appartement : le ratio de la dépense par unité de surface entre les appartements le plus et le moins favorisé est dit « coefficient de situation ». Pour les immeubles avec production locale de chaleur dans chaque appartement, prévoir une déduction des autres charges d’immeuble basée d’une part sur la différence entre la valeur calculée théorique et la valeur dépensée réellement et d’autre part sur le coefficient de situation calculé. Pour les immeubles avec production centralisée de chaleur et un comptage individuel, prévoir une clef de répartition des frais de chauffage qui tienne compte du coefficient de situation. Pour les immeubles récents et bien isolés (BBC RT 2005, RT 2012) laisser les copropriétés libres de ne pas poser de comptages individuels, s’ils font la preuve de leurs efforts en vue de réguler le chauffage (lois de régulation, équilibrage hydraulique) et des résultats globaux qu’ils obtiennent pour se rapprocher des valeurs conventionnelles de dépense d’énergie.
Jean-Pierre Desmoulins
Ingénieur, professeur agrégé, ex enseignant (retraité) dans un département « Génie thermique et énergie » d’un IUT, conseil en matière de chauffage de deux copropriétés.
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